China, on peut facilement imaginer que vous avez grandi dans un milieu musical. Pouvez-vous, justement, revenir sur vos premiers frissons dans ce domaine ?
Ce devait être dans le ventre de ma mère (rires) !
Le premier disque que j’ai acheté était un album de hip-hop signé par un groupe peu connu. Sinon j’écoutais tout ce que je trouvais. Avec ma famille, nous allions souvent chez des amis qui avaient des discothèques assez incroyables. De ce fait, pendant que les adultes dînaient, moi j’écoutais de la musique !
Je suppose que le chant est venu naturellement…
Pas du tout, je ne suis pas une chanteuse naturelle. Je ne chantais pas très juste quand j’étais petite. C’est ma mère qui m’a vraiment poussée à essayer de m’exprimer par le biais du chant et de l’écriture. J’ai signé, sur mon premier label, à l’âge de 15 ans. J’étais très loin d’être une enfant surdouée comme les petits de 5 ans que l’on voit
interpréter des titres de Michael Jackson et de Whitney Houston. Je n’étais, pas du tout, comme cela…
Entre une maman chanteuse de jazz (Dee Dee Bridgewater) et un papa réalisateur (Gilbert Moses à qui l’on doit le fameux «Willie Dynamite» sorti en 1974), spécialisé dans un cinéma de genre nommé blaxploitation. Avez-vous évolué dans un milieu «politique» qui s’intéressait, de près, au milieu social afro-américain ?
Mais parents, compte tenu de leur génération, étaient très investis dans ce domaine. Pour ma part, j’étais trop petite pour vivre cela. Je suis arrivée en France en 1986 alors que j’avais 7 ou 8 ans, donc je n’ai pas vu grand-chose. Il est, cependant, vrai que mes parents étaient très engagés mais je ne les ai pas vu à «l’oeuvre».
C’est plus tard que j’ai lu le livre « The Free Southern Theater » que mon père a écrit en 1969 avec Richard Schechner et Thomas Covington. Ils y évoquaient une expérience menée dans le sud des USA où ils montaient, en pleine ségrégation, des pièces de théâtre pour la communauté noire américaine. C’était une chose assez osée…
Je sais aussi qu’ils étaient des sympathisants des Black Panthers (mouvement révolutionnaire afro-américain formé en Californie en 1966, nda) mais nous ne vivions pas dans un foyer militant pour autant.
Est-ce une chose qui vous a touchée, plus tard, en découvrant la musique de vos origines ?
La musique aux Etats-Unis est une chose innée, on ne découvre pas la musique on naît avec. La plupart des noirs américains ont un minimum de culture musicale que ce soit dans le domaine du jazz, de la soul ou du funk…
Cela a, aussi, une très grande importance (aux USA) chez les blancs, les portoricains, les haïtiens etc…
La musique n’est pas une chose qu’on apprend, on la connaît dès le départ. Ce n’est pas comme en France où on est obligé «d’aller en arrière» et de découvrir les choses. Rosa Parks (figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale, nda), Martin Luther King et Malcom X sont des gens qui font partie intégrante de notre culture quotidienne. Je n’ai jamais voulu approfondir le sujet, je connais mes bases.
Ce n’était pas une lutte, c’était une nécessité…
La ségrégation existait jusqu’en 1968, à partir de là on se rend compte qu’il ne s’agit pas de quelque chose de fantasque. C’est réel et ce n’est pas si éloigné que ça…
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez les chanteuses de jazz et de blues ?
Ce qui me touche le plus chez une chanteuse, quelque soit son style, c’est la voix !
Dans le répertoire du jazz et du blues il y a de grands standards qui sont indémodables et que l’on peut redécouvrir 15 millions de fois via les différentes interprétations qui existent. Une même chanson enregistrée par Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald ou Nina Simone ne sonne pas de la même manière…
J’aime la musique et, plus particulièrement, les chanteuses…
Ces femmes étaient, finalement, les premières stars de l’industrie du disque. De ce fait, ne trouvez-vous pas injuste que certaines d’entre elles soient, aujourd’hui, moins considérées que leurs homologues masculins ?
Je ne suis pas d’accord avec cette idée, cela dépend d’avec qui vous traînez…
Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens connaissent davantage Bessie Smith ou Ma Rainey que Robert Johnson ou Charley Patton par exemple…
Je ne pense pas que les femmes soient moins connues que les hommes, sinon Mahalia Jackson ne serait pas aussi connue…
Vous êtes-vous intéressée à des artistes plus «engagées» comme Victoria Spivey ou Odetta ?
Non pas vraiment…
J’aime bien Odetta mais, sinon, ce n’est pas trop mon truc…
Souvent les propos de ces chanteuses étaient relativement «salaces». Serait-il encore possible, aujourd’hui dans le blues et le jazz, de mener une carrière à succès en employant des expressions particulièrement crues ?
Oui, d’ailleurs il y a un morceau qui cartonne en ce moment dans le Top 10 (rires) !
Il est signé Rihanna et dit «Come here rude boy boy, can you get it up»…
Même s’il s’agit de R&B contemporain, les propos ne sont pas très différents (rires) !
C’est amputer la moitié du dance hall de dire cela. Ce n’est pas prendre en compte la moitié de l’électro…
Nous allons revenir à votre actualité, à savoir votre album «This One’s For Dinah» et votre tournée. Dans un premier temps, pouvez-vous me parler de votre rencontre avec le pianiste Raphaël Lemonnier ?
Nous nous sommes rencontrés par le biais de la chanteuse Camille pour laquelle j’étais choriste. Elle l’a invité à l’un de ses concerts et c’est ainsi que je l’ai connu. Il m’a proposé de participer au projet «Dancing» au sein duquel il s’engage tous les ans.
Nous nous sommes découvert un amour commun pour Dinah Washington et, à partir de là, un autre ami (Stéphane Kochoyan) nous a soumis l’idée de faire un spectacle ensemble. C’est à ce moment précis qu’est né une tournée d’un an et demi en hommage à Dinah Washington. Après nous avons fait l’album, signé chez Blue Note et maintenant nous sommes ici…
Le fait de signer sur le label Blue Note avait-il une signification particulière pour vous ?
C’est cool (rires) !
C’est une belle maison, un grand label responsable de nombreuses carrières de gens que j’aime beaucoup. On leur doit, également, un «élargissement» du jazz via des projets comme ceux du groupe St Germain ou de la chanteuse Stacey Kent. Ce sont des gens qui sont signés chez Blue Note France et pas chez Blue Note Etats-Unis. Cela veut dire que les personnes qui dirigent cette firme ici ont de très bonnes idées.
De votre côté vous avez abordé le traitement du son de ce disque de manière assez «roots». Est-ce que, de ce fait, son succès vous a surpris ?
Je ne sais pas…
Je ne m’attendais à rien et je trouve incroyable tout le chemin que cet album nous a permis de faire. Je ne suis pas surprise car le jazz traditionnel existera toujours, nous n’avons rien fait de nouveau…
S’il y a eu beaucoup d’hommages à Dinah Washington aux Etats-Unis, cela n’a jamais été le cas en France.
Depuis 3 ans que nous tournons avec ce concept, je pense que nous avons bénéficié d’un bon «bouche à oreille». L’album n’est sorti qu’il y a un an et nous avons fait beaucoup de scène auparavant. De plus il n’y a pas beaucoup de chanteuses noires de mon âge en France…
Vous avez évoqué la scène française actuelle. De quels artistes vous sentez-vous proche ?
Il y a beaucoup d’artiste que j’ai rencontrés et avec lesquels j’aime travailler. De M à Sébastien Tellier en passant par Section D’assaut, Diam’s, Justice, DJ Mehdi etc…
Il y en a beaucoup…
Je travaille dans la musique depuis l’âge de 15 ans, je suis journaliste spécialisée depuis 10 ans…
J’aime la musique et il y a beaucoup d’artistes français que j’adore…
Comptez-vous continuer à élargir vos horizons musicaux ?
C’est mon quatrième album. Je viens de la soul et du R&B contemporain…
Je travaille, actuellement, sur mon quatrième album soul et mon deuxième album de jazz.
Je vais, aussi, sortir à la rentrée prochaine un E.P. avec mon groupe de rock-métal. Je suis chanteuse au sens large, c’est ce que je sais faire de mieux…
Ne trouvez-vous pas qu’il y a moins de barrières entre les genres aux USA par rapport à la France ?
La musique doit être cataloguée afin que le public puisse s’y retrouver, c’est le cas partout…
La France n’est pas un pays musical à la base, dont la diffusion de cet art ne se fait pas facilement…
La musique soul est, par exemple, complètement négligée ici même si on trouve toujours des contre-exemples. Je ne sais pas si j’ai plus souffert de cela ou de ce que je voulais faire exactement de ma carrière, de mon identité musicale.
Depuis que j’ai compris que cette identité se résumait à ma voix et à ma personnalité, je n’ai plus ressenti ce problème. Toute barrière est faite pour être surmontée et transgressée…
Quand les gens pensent que tu n’es pas capable de faire quoique ce soit il faut leur prouver le contraire et ça passe !
Votre public est-il différent en fonction des registres que vous abordez ?
Oui, ça change… et ça change d’un concert à l’autre aussi !
L’âge et l’ambiance diffèrent d’une soirée à l’autre. Cela dépend de mon répertoire (soul ou jazz) mais aussi de l’endroit où nous nous trouvons.
Dans le registre du jazz vous devez souvent être confrontée à des salles plus « feutrées ». Cette image maniérée voir élitiste du jazz en Europe est-elle une chose qui vous dérange et souhaiteriez vous emmener cette musique dans des endroits qui sortent des « sentiers battus »?
Nous le faisons souvent ! Nous jouons, en effet, dans des endroits qui ne font jamais de jazz (rires)…
Le public du jazz, en France, n’est pas élitiste. Il y a un vrai problème entre ce que les gens voient et ce qu’ils entendent après. Il y a une très mauvaise communication en fait…
Le jazz doit être le genre musical, en France, sur lequel les gens ne savent pas communiquer. Il y a très peu de diffusion et le « grand public » voit en cette musique quelque chose d’élitiste et de très adulte alors que ça ne l’est pas du tout. Cette musique est, pour moi la pop des années 1940/50. Il y a, certes, des courants du jazz qui sont plus « compliqués » et dont la « grammaire sonore » est plus difficile mais son grand problème est son image qui n’est, pas du tout, actuelle. Il y a des niches, des associations et chacun est un peu dans son coin…
La scène française en souffre mais, en même temps, elle permet à un groupe tel que le notre de tourner depuis 3 ans avec un même projet. Ceci dans des Festivals que, souvent, personne ne connaît (rires)…
Vous m’avez parlé d’enregistrements à venir. Pouvez-vous évoquer, plus précisément, vos projets ?
Non (rires) !
Il y a un nouvel album sur lequel nous allons travailler. Il y a aussi mon disque soul et mon e.p avec mon groupe de rock Alarash. Pour le moment je n’ai pas encore enregistré quoique ce soit pour le nouveau disque de jazz. Donc je préfère ne pas en parler…
Dans les semaines et les mois à venir, vous allez fréquenter des Festivals de jazz très importants. Quelques uns en compagnie de votre mère qui, elle, chante actuellement dans un répertoire consacré à Billie Holiday. Pouvons-nous imaginer des rencontres scéniques qui mêleront vos deux voix ?
Cela m’étonnerait…
Je n’aime pas tellement chanter avec ma mère. Cela provoque en moi un stress assez énorme. Qu’elle nous laisse faire ses premières parties est déjà assez incroyable. Nous l’avons déjà fait, à Londres, au Barbican qui est une salle prestigieuse. C’était assez magique…
Si ma mère veut que je chante avec elle, elle sait qu’elle risque de me torturer. Donc elle me laisse tranquille et elle contente de m’appeler pendant que je la regarde sur scène. Pour moi elle reste ma mère et une très grande dame. Je n’ai aucune prétention et, surtout pas, l’envie que les gens pensent que je me sente assez à l’aise pour chanter avec elle.
Nous n’avons jamais été une famille qui jouait ensemble. Chacun faisait ce qu’il voulait et ma mère ne nous a jamais imposé quoique ce soit. Chanter avec elle est agréable mais, en même temps, c’est une torture pour moi.
Avez-vous appréhendé sa réaction au moment de la sortie de votre album hommage à Dinah Washington ?
Bien sûr, comme tout enfant (rires)…
Les gens regardent déjà cela bizarrement en me disant « alors, tu es la fille de Dee Dee… ». C’est comme si c’était une famille de notaires où, en principe, le métier se transmet de père en fils. Quand tu nés dans une famille artistique, il y a de grandes chances pour que tu empruntes cette voie…
La transmission de cet amour n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Ce qui l’est, c’est quand chaque individu arrive à trouver sa petite place. Ce que je vis, personnellement, est exceptionnel !
Cet album a été une peur comme si je lui ramenais un devoir.
Ce dernier concernait le domaine dans lequel elle excelle et où elle est reine. J’avais peur qu’elle soit déçue…
Depuis que j’ai l’âge de 13 ans, j’ai les bras et les jambes qui tremblent à l’idée de faire écouter une nouvelle chanson à ma mère. Je commence à être rodée…
J’avais surtout peur qu’elle pense que la tension, l’énergie et l’ambiance qui se dégagent du disque ne soient pas justes.
Elle a apprécie la spontanéité de la chose et sa première réaction a été agréable. Elle m’a dit que cet album donne l’envie de s’asseoir dans un canapé confortable et de boire un verre.
En tout cas, pour ce disque vous avez pu compter sur l’appui d’un groupe particulièrement compétent. Pouvez-vous me parler de ces musiciens ?
Ils justifient le fait que ce soit, justement, un album de Raphaël et de moi. Il s‘agit, en effet, de quelques uns de ses amis. De plus c’est lui qui m’a, réellement, permis de m’exprimer dans le registre du jazz. C’est lui qui m’a présentée au batteur Jean-Pierre Derouard par exemple.
Il a imaginé un son et a, tout de suite, trouvé les musiciens qui étaient capables de créer un tel son. Je me rends compte qu’il est comme moi, un « outsider » dans la scène jazz française. Grâce à cet album beaucoup de gens le découvrent. Nous avons la chance d’avoir Daniel Huck (saxophone) ou François Biensan (trompette) avec nous. Ils sont de véritables « routards » et ont joué avec tout le monde, un peu partout…
Il y a une belle diversité d’âge sur ce disque. De la clarinettiste Aurélie Tropez à Daniel Huck, cela doit aller de 30 à 60 ans. Je ne sais pas si cela se fait beaucoup mais, pour nous, ça a été naturel…
Je suis pleinement consciente que je peux faire du jazz maintenant.
J’ai aussi participé à l’album d’André Manoukian et je suis très heureuse du résultat rendu par les trois morceaux enregistrés avec son trio.
Je sais aussi que sans les bons musiciens, notre album aurait pu être raté. Le tout n’est pas de savoir chanter. Il faut qu’il y ait l’accompagnement, l’émotion et un facteur mystérieux qui peut s’opérer dans des séances « lives » telles que les nôtres. En ce qui nous concerne, ce facteur était là…
Avez-vous une conclusion à ajouter ?
Ecoutez de la musique, allez voir des concerts. Cela fait du bien !
www.chinamoses.com
www.myspace.com/chinamoses
|
|
Interviews: |